Ascension du Piton des Neiges

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Aujourd’hui me vient l’envie d’écrire et de vous raconter un fragment de mes aventures. Pour cela, j’ai décidé de vous raconter comment j’ai découvert le fruit Réunionnais, le longani. Ce fruit qui ressemble drôlement au litchi, mais en plus sucré.


Nous sommes le 16 février 2019 et je m’apprête à monter sur le toit de l’Océan Indien, culminant à 3070 mètres, dans l’objectif de bivouaquer à son sommet pour assister au coucher et au lever du soleil, sur cet ancien volcan, aujourd’hui endormi. Je suis arrivé sur l’île de la Réunion le 05 février, ça fait maintenant 11 jours que je suis là quand je décide de me rendre à son point culminant. Mes premiers jours sur l’île m’ont servis surtout à trouver un logement, à découvrir l’agence où j’allais bosser et à explorer vaguement le bord de mer au Sud de l’île. Malgré les différentes remarques de mes collègues, Réunionnais de sang et de cœur, et leurs réticences à me laisser monter seul au sommet, je décide de préparer mon sac le vendredi soir et de réunir le peu d’équipement que j’ai pu prendre avec moi dans l’avion : tente, tapis de sol, bâtons de marche, chaussures de rando et un peu de nourriture. Je préviens mon coloc fraîchement rencontré qui lui aussi reste stupéfait du programme de mon premier vrai week end sur l’île. Il me souhaite bonne chance et de ne pas hésiter à l’appeler en cas de besoin. Alors, je suis prêt et il me faut peu de temps pour franchir la porte, direction la gare routière de Saint Pierre.


Il est 6h30 du matin. Dans le bus qui me mènera tout droit à Cilaos, un joli village de montagne perdu dans un cirque du même nom, je repense à toutes ces mises en garde concernant l’ascension de ce fameux Piton sans vraiment comprendre et imaginer la difficulté de cette marche en montagne. Je pose ma tête contre la vitre du bus et je songe. Piton des neiges. Des neiges, car c’est le seul endroit sur l’île où les Réunionnais peuvent espérer trouver de la neige. Mais cela fait quelques années maintenant qu’il n’a pas neigé ici. J’ose m’imaginer la stupeur et l’excitation des Réunionnais en gravissant cette montagne et en découvrant ce voile blanc qui recouvre le sommet, laissant ainsi oublier la tropicalité de l’île quelques instants. Je ne peux m’empêcher de sourire avec ces images en tête, de jeunes et moins jeunes, à plus de 3000 mètres d’altitude en train de voir, toucher, et sentir de la neige pour la première fois, un grand moment d’évasion pour des personnes qui connaissent principalement une chaleur étouffante une bonne partie de l’année.


La route que nous empruntons avec le bus est tout aussi fabuleuse que nauséeuse. Les gens ici l’appelle la route aux 400 virages : je comprends mieux pourquoi. Le bus ne cesse de tourner en s’infiltrant dans des routes toutes plus étroites les une que les autres avec ces fameux virages en épingle. Je me concentre sur le paysage, qui à lui seul, vaut bien le trajet que je subis. C’est d’un vert ici, toutes les montagnes semblent recouvertes d’arbres et de végétations de tout type, donnant des allures drôlement semblables à celles de jurassic parc ! Je sais la comparaison est facile mais c’est tout de suite l’image qui me viens en tête. La joie et l’excitation montent petit à petit, il me tarde d’arriver.


Après une bonne heure de trajet, j’arrive donc à Cilaos, perché à 1100 mètres d’altitude et d’après les renseignements pris, je me dois de rejoindre Le Bloc, le point de départ de la rando à 1380 mètres d’altitude. De là, il me restera plus qu’à suivre le sentier jusqu’au refuge de la Caverne Dufour, puis jusqu’au sommet.


Je sors du bus, pose mon sac que je sens bien lourd sur le sol, et ne peux m’empêcher de regarder autour de moi, à 360°. Que c’est beau ! Le village est entouré de toutes parts par des montagnes qui s’élèvent toutes très haut. La végétation luxuriante s’empare de tout l’espace qu’elle a à disposition ce qui crée un cadre comme je n’en avais jamais vu. J’ai du mal à lâcher le panorama des yeux, mais le temps passe et il serait plus prudent de partir au plus vite de sorte à arriver au sommet avant le coucher de soleil. Ce serait dommage de rater ce spectacle, c’est l’une des plus belles choses que cette île peut offrir.

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Cilaos


Il est un peu plus de 9 heures et je me décide d’aller acheter quelques provisions avant le grand départ. Je me rends donc dans une épicerie locale afin d’acheter quelques bananes et barres de céréales. Ici, je passe presque inaperçu avec mon gros sac sur le dos. Cilaos est un paradis des randonneurs ! Tout le monde ne s’attèle pas au Piton de Neiges, mais les gens se promènent sur les nombreux sentiers au départ du village. La chapelle, Bras rouge, je vois plusieurs noms qui s’affichent sur les panneaux. Peut être qu’un jour je reviendrai pour les faire, mais pour le moment, un plus gros morceau m’attend.

Il fait déjà très chaud, il est à peine 10 heures. Après avoir fait le stock de nourriture, je décide de me balader dans les petites rues du village puis de prendre la route en direction du Bloc. Je suis donc les panneaux, mais il y a très peu de routes ici, je me fais la remarque que tout va bien se passer, qu’il est aisé de trouver son chemin. Je marche pendant presque 45 minutes en plein soleil sur la route asphaltée et le poids de mon sac commence déjà à me peser sur les épaules. Je me demande pourquoi j’ai voulu débuter de Cilaos, alors que tout le monde commence depuis le parking du bloc, où on peut laisser la voiture. Je n’en ai pas moi ici, donc je cesse de penser à ça et je continue de gravir les pentes plutôt raides de la route, sans écarter la possibilité de faire du stop si je n’aperçois pas le parking d’ici quelques minutes. Mais voilà, à peine l’idée m’effleure t’elle l’esprit que je distingue au loin le parking se dessiner. Quelques voitures sont garées ici, sans doute les personnes ayant dormi au refuge hier soir.


Il est 10h30 quand je commence à marcher véritablement sur le sentier. La première chose qui me marque ce sont ces marches de pierre qui forment un réel escalier minéral et végétal que je me dois de suivre, me rapprochant pas à pas, de mon objectif, de l’incroyable vue sur toute la Réunion, le front de mer, le Piton de la Fournaise et même l’île Maurice si le temps et la visibilité le permettent.


Je marche, mais le soleil commence à vraiment taper et je me fatigue rapidement. Je sens les gouttes de transpiration déferler une à une de mon front. Ça fait maintenant un peu plus d’une heure que je grimpe et j’aperçois pour la première fois un magnifique panorama sur le village de Cilaos. D’ici on se rend plus compte encore des impressionnantes parois rocheuses qui encerclent le village. Je vois au loin la mare à jonc, cet étang posé au milieu du village qui doit ravir les familles lorsqu’elles en font le tour à pied. Moi, en attendant, il me reste encore 1225 mètres de dénivelé positif. Je suis à 1845 mètres d’altitude lorsque je contemple ce point de vue. Je décide pour faire une courte pause et manger une barre de céréales, pour me redonner des forces. J’en profite pour regarder l’heure sur mon téléphone et j’aperçois des messages d’encouragements de mon coloc et d’Anna, ma copine. J’ai bien l’impression que ces messages me reboostent plus que la barre de céréales. Je suis heureux d’être ici et d’escalader ce massif qui règne en maître en plein cœur de l’île. La formation des 3 cirques de l’île est dû à l’effondrement du Piton des Neiges il y a des milliers d’années. Celui-ci s’est affaissé et a déchiqueté tout ce qui se trouvait autour, donnant ce relief si particulier et si spécifique aux cirques de la Réunion, réels joyaux du patrimoine local.

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Cilaos


Je marche depuis maintenant 1h30 lorsque j’arrive au plateau du Petit Matarum, culminant à 1969 mètres. Je fais de nouveau une pause pour reprendre mon souffle et en profiter pour boire de l’eau à la source. Je suis parti avec 3 litres sur le dos, mais je me rends bien compte que je bois énormément pour compenser la forte chaleur, l’humidité et tout ce que je perds en transpiration. Mais je ne me bile pas, il y aura forcément de l’eau au refuge. C’est d’ailleurs ma prochaine étape. Je profite de ma courte pause pour faire un bilan de la marche effectuée et je me rends rapidement compte que je progresse très peu en nombre de kilomètres tant le sentier grimpe. Depuis Le Bloc, le sentier fait à peine 4km pour 1700m en dénivelé positif. Étant parti de Cilaos, je me suis rajouté 270 mètres qui clairement auraient pu être évités. Mais je ne me blâme pas, j’aurai au moins le mérite d’avoir tout fait à pied, sans aucune assistance et je trouve cela d’autant plus appréciable.


Je croise au niveau du plateau où je me trouve des gens qui redescendent et qui me salue tout en me souhaitant bonne chance. Au passage, ils me lâchent : « T’inquiètes ! Le jeu en vaut la chandelle, tu seras pas déçu, une fois là haut ! ». Ces paroles me motivent et je me relève aussitôt. « Merci ! Bonne descente à vous deux ! » et je me remets en route.


La marche est comme une méditation active. Je suis seul au milieu de ce chemin qui ne cesse de monter en lacets et je laisse mon esprit divaguer comme bon lui semble, je me concentre sur mes pas, le regard rivé sur mes pieds. Je me revois au GR20, avec Flo et Simon, de très bons amis à moi. C’était 3 ans plus tôt, en 2016. Nous avions traversé la Corse à pied du Nord au Sud, un sacré périple. Une incroyable aventure humaine, riche en rebondissements pensais-je. Je me revois ensuite sur les sentiers de randonnée au Canada, dans l’Alberta, dans les parcs nationaux de Banff et Jasper avec Laurie et Romain, 2 autres amis avec qui ont a traversé l’Ouest Canadien. On a fait de très belles randonnées dans ces parcs grandioses où règne cette puissante Nature.

De toutes ces randonnées que je me remémore, je n’en trouve que très peu qui m’ont demandé autant d’efforts que celle que je réalise actuellement. La chaleur m’accable. Nous sommes en février, c’est l’été ici, et l’un des étés les plus chaud que la Réunion ai connu. Quelle idée de partir à ce moment de l’année ! Je vais rester 7 mois ici et c’est aujourd’hui que je décide de gravir ce Piton ! « Tu aurais mieux fait d’écouter tout le monde » me dit une petite voix dans ma tête.


Je continue inlassablement de gravir ces marches et je dépasse maintenant les 2000 mètres d’altitude. J’ai l’impression que la chaleur commence à diminuer au fur et à mesure que je prends de l’altitude, c’est une bonne chose, cela me rend la tâche un peu moins difficile. Au fil de la montée et de l’enchaînement de mes pas, je sens mes pieds comprimés dans mes chaussures Salomon, mes chaussures du fameux GR20. Elles sont abîmées, elles ont drôlement morflé en Corse. Je ressens des frottement désagréables mais je continue mon périple. J’atteins les 2300 mètres d’altitude et le vent commence à être de la partie. La chaleur a décidément beaucoup diminuée et je suis en t-shirt, me prenant le vent et la brume de toute part. Mon dos est trempé de sueur et je sens mes lèvres qui sèchent de plus en plus. Je décide donc de remettre une couche sur le dos et de reprendre la route, de franchir ce col afin de me protéger du vent au plus vite. C’est ce que je fais et en passant le col, j’aperçois le refuge à quelques centaines de mètres de là. « Ah yes, victoire ! », ce cri de joie, je n’ai pu m’empêcher de le lâcher, en oubliant presque que le refuge n’était pas ma destination finale. C’est là où tout le monde dort, mais moi, j’ai ma tente et mon duvet dans le sac, c’est au sommet que j’ai décidé de passer la nuit, au plus proche des éléments et dans la plus grande solitude.


Il est 13h30 quand j’arrive au refuge. J’ai donc mis 3h45 depuis Cilaos. C’était le temps indiqué de toute façon, pas plus, pas moins. Vu le package que j’ai sur le dos, je suis plutôt satisfait de mon allure, car en plus de cela, je n’ai pas randonné depuis plusieurs mois. Et cela m’avait manqué. Ici, au moins, je respire l’air pur des montagnes, je me sens plein d’énergie, vivant, loin de mon confort habituel. Je me fraye un chemin parmi les ambavilles blanc et jaune et la végétation éricoïde qui se trouve autour de moi et j’arrive enfin sur la terrasse en bois du refuge. Je suis à 2500 mètres, ce qui est déjà une belle prouesse en soit ! +1400 mètres depuis ce matin, et une bonne dose de mon énergie utilisée.


Je pénètre dans le refuge, et découvre un environnement plutôt spartiate où le froid s’infiltre aisément. Tout est très rustique, des toilettes aux dortoirs pouvant aller jusqu’à 15 personnes sur des lits triple. Ça me fait sourire, c’est la première fois que je vois de tels lits. Je décide de rester un peu me détendre ici à 2500 mètres, de me reposer et de monter là haut plus tard, pour ne pas trop subir le froid inutilement. Je me rends donc au comptoir du refuge et commande, sans trop savoir pourquoi, une dodo, la bière locale Réunionnaise. Ce n’est pas la première que je bois depuis mon arrivée sur l’île, et c’est bien dommage pensais-je, ça aurait pu être symbolique, de goûter cette fameuse bière, ici.


Il y a quelques personnes au refuge, à qui je m’efforce de sourire et de saluer et je retourne dehors, pour savourer cette bière bien méritée. C’est sans doute pour ça que je l’ai commandée, pour me récompenser des efforts déjà fournis jusqu’à présent. Mes jambes, mon dos et mes pieds sont endoloris, mais ils ont su me porter jusqu’ici, sans trop de peine pour le moment. Alors cette bière, c’est comme une offrande que je leur fait, pour les remercier de m’avoir acheminer jusqu’ici. J’ouvre le sandwich que je me suis préparé hier soir avant de partir, et je le savoure pleinement. Quel plaisir de manger après un tel effort. Avec la bière, je m’offre deux petits plaisirs de la vie comme on dit. J’aime me voir apprécier ces choses simples. Pendant mon repas mon esprit s’évade de nouveau et je pense à ce que disait David Le Breton dans un de ces livres : « La fatigue heureuse de quelques heures de randonnée suffit à rendre mémorable le moindre sandwich », je ne peux qu’acquiescer et un air satisfait se dessine sur mon visage.


A peine mon sandwich avalé, des personnes me sortent de mes pensées en s’asseyant à ma table, la seule table posée dehors sur la petite terrasse en bois du refuge.


« Salut ! » me lâche un jeune qui semble avoir mon âge.


« On peut s’asseoir là ? » Me demande t-il. Il est accompagné de 2 filles également.

« Hm… oui bien sûr, allez y ! » répondais-je en buvant une gorgée de ma bière.

Eux, revenaient avec des tasses de thé et de café bouillantes, ils avaient bien raison de boire du chaud au vu des conditions qui commençaient à se durcir, là, dehors.


« Alors, t’es tout seul ici ? » me demande t’il pour relancer la discussion.

Malgré la fatigue et l’envie de me reposer, j’entame une conversation avec eux.


« Oui, je suis seul, je fais l’ascension du Piton des neiges, je vais planter ma tente au sommet tout à l’heure, puis je redescendrai tranquillement demain dans la journée »


« Waw, tu fais ça seul, ça te fait pas peur ? » me questionne l’une des filles. Elle est brune et plutôt grande, elle semble en pleine forme malgré cette première ascension.


« Peur ? » Je rigole un peu. « Non, fin, de quoi je pourrais avoir peur ici ? »


« Je ne sais pas, mais moi je pourrais pas » finit-elle par lâcher en prenant sa tasse de thé entre les mains, pour se réchauffer.


Les minutes passent et nous discutons brièvement de nos venues sur l’île, ce sont des français qui viennent de métropole, comme moi. Je suis assez peu bavard car la fatigue me gagne de plus en plus. Je me suis levé très tôt ce matin, pour venir jusqu’ici. Je leur parle donc rapidement de mon agence Horizon Réunion et que je vais y bosser les prochains mois pour développer la partie Trekking globalement, et je disparais en les saluant et leur souhaitant bonne montée.


Je m’éclipse doucement en pensant que j’aurais dû prendre leur nom ou au moins leur contact, ils paraissaient plutôt sympas et je connais personne encore sur cette île, si ce n’est Mia et Gaël, chez qui j’ai passé mes premières nuits sur l’île grâce à Airbnb ou encore Christopher mon colloc. Mes collègues de l’agence, je les connais encore très peu, j’ai une semaine de stage seulement à mon actif. Tant pis, j’aurais d’autres occasions de faire de belles rencontres.


Maintenant, il est temps pour moi de me reposer, j’ai une petite fenêtre de beau temps, alors j’en profite pour m’allonger sur un muret en pierre plutôt plat, enlever mes chaussures et me laisser emporter par Morphée. Enfin, je ne dors pas tout à fait, je somnole en écoutant les bruits de la nature autour de moi, ça me berce et je profite de cet instant de bonheur simple. Je suis là, allongé sur mon muret à 2500 mètres, en train de prendre les quelques rayons de soleil qui transpercent la couverture nuageuse et je suis bien. Détendu, fatigué, mais aux aguets de tous les bruits qui m’entourent : le sifflement du vent, le rire des randonneurs, les bruits de pas des nouveaux arrivants, le bruit des branches fouettées par les bourrasques qui passent. Je me laisse quelques instants pour profiter de tout cela et me recharger comme je peux pour affronter les 2 dernières heures de marche qui me séparent du sommet.

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Pause au refuge de la Caverne Dufour


Il est très dur pour moi de repartir après cette pause, j’hésite un peu. Je pense avoir suffisamment de ressources pour monter là haut et faire les 600 mètres de dénivelés restant mais à la fois, je suis bien ici et je trouverais un coin aussi pour monter la tente. Après une réflexion de courte durée, je me motive et refais mon sac. Je suis venu pour camper au sommet, un point c’est tout. « Bien sûr que je vais monter, bien sur que je vais y arriver ! »


Je me remets en route et m’éloigne progressivement de tous le bruits, discussions, conciliabules des randonneurs. Maintenant, je suis livré à moi même, ayant pour seule compagnie moi et seulement moi. « Fuir seul, vers le seul » disait Plotin. Je peine à avancer sur ce sentier qui est devenu extrêmement caillouteux. Je ne marche que sur de la pierre et le risque de se fouler une cheville ici est très important, il faut redoubler de vigilance sur la pose des pieds. Je suis le marquage blanc et me rapproche doucement du sommet. A ce stade, chaque pas et chaque mètre comptent. En tournant la tête et en observant le paysage, je me rends compte que je suis au dessus des nuages, cela me procure toujours une drôle de sensation, encore plus quand le matin même tu es au niveau de la mer. La Ravine des Cabris, où je vis, est juste au dessus de Saint Pierre, au Sud de l’île et je suis donc à quelques minutes de la plage.

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Au dessus des nuages

Je regarde de temps à autre mon téléphone pour suivre l’altitude et répondre une dernière fois aux messages d’Anna et de mon colloc. Là haut je ne pense pas capter, et de toute façon il me faut garder de la batterie, au cas où.


La fatigue se fait de plus en plus intense et je bois de courtes gorgées d’eau à travers le tuyau de mon camel back afin de rester hydraté. Je me contente d’avancer, de mettre un pied devant l’autre. En cet fin d’après midi, c’est tout mon corps qui me dit stop et qui me réclame du repos. J’ai hâte d’arriver et j’espère à ce moment là, avoir assez de forces pour monter ma tente. Je suis exténué. J’entame avec grande difficulté les derniers mètres de dénivelé. Le terrain se montre moins caillouteux mais plus terreux, j’ai l’impression d’être sur les pentes sommitales du Piton ! Oui ça y est, je sens que j’arrive, le sentier disparaît progressivement pour laisser place à une plus grande étendue de terre et de pierres, « ce doit être là ! » pensais-je, en regagnant instantanément de l’énergie, comme si la découverte de ce lieu ravivait mon esprit et alimentait mon corps d’un dernier soupçon de force.

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Sommet du Piton des Neiges


Je suis seul ici, c’est même plutôt austère. Des paysages lunaires se dessinent sous mes yeux, c’est très rocailleux, et je continue donc d’avancer le long de cette pente douce. Je me demande si je suis vraiment arriver. Bien sûr que je le suis mais je m’attendais au moins à ce que ce soit indiqué, qu’il y ai une pancarte avec marqué « Piton des Neiges 3070m » mais rien de tout ça, alors je continue. Il ne m’aura pas fallu beaucoup de temps avant de me retrouver bloqué par les falaises qui descendent plusieurs centaines de mètres en contrebas et donc de comprendre que j’y suis, le sommet du piton des neiges, le plus haut sommet de l’Océan Indien !


Je décide avant toute chose de trouver un emplacement pour la tente, ici le vent souffle si fort que je comprends pourquoi aucune pancarte ne peut tenir. Pourtant, il fût un temps, une pancarte existait bel et bien, avant d’être emportée par une tempête. En marchant, j’ai vu des abris en pierres qui ont été conçus spécialement pour y mettre sa tente, il y en a plusieurs et cela me facilite bien la tâche. Je puise dans mes dernières ressources pour monter ma tente, y déposer mon tapis de sol et j’enlève mes chaussures. Mes pieds sont très douloureux. Le froid est glacial, les pierres autour de ma tente me protège que partiellement du vent qui arrive à s’infiltrer à son aise. Je sors rapidement de la tente pour observer le paysage et je marche, seul, quelques minutes le long du sommet pour me délecter de cette vue sur toute l’île. C’est magnifique, c’est la première fois que je me trouve si haut en altitude et la vue est époustouflante, décidément le Piton en impose, perché du haut de ses 3000 mètres et posé en plein milieu de l’île. On peut voir tout autour, à 360°. Je profite quelques instants de cet enivrant spectacle mais le vent, le froid, me rappellent à l’ordre. Il est 19h et je me faufile dans ma tente, pour tenter de me réchauffer.

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Bivouac au sommet du Piton des Neiges


A l’intérieur de ma tente, le calme et le silence sont bouleversés par les bourrasques de vent à l’extérieur. Je m’emmitoufle dans mon duvet et j’essaye de me faire oublier, de disparaître, mais le vent se joue de moi et secoue ma tente, une fois, puis deux et je ne peux m’empêcher de penser qu’elle se serait déjà envolée depuis longtemps si je n’étais pas à l’intérieur. Pour économiser du poids sur le dos, j’ai volontairement omis de prendre les sardines qui permettent de fixer la tente dans le sol. De ce fait, la seule charge qui maintient la tente à peu près debout, c’est moi même, ma longue masse allongée sur le tapis de sol très peu épais et très peu isolant. Le froid remonte du sol et vient me glacer le dos. Décidément, je suis en mauvaise posture sous cette tente. Les éléments se déchaînent dehors et je suis là, à écouter chaque bruit suspect et inconnu à l’extérieur. Je n’ai plus le courage de me lever pour sortir et admirer le coucher de soleil, tant pis, je me lèverai tôt demain matin pour au moins voir le lever. J’ignore quelle heure il est, mon téléphone est dans mon sac et je ne peux plus bouger, de peur de voir le peu de chaleur accumulée dans mon duvet disparaître soudainement. Pour ce soir, j’avais prévu une boîte de thon, je mangeais encore de la viande et du poisson à ce moment là. Mais cette boîte de thon, ce n’est pas ce soir que je l’ouvrirai, par manque de forces. La fatigue prend le dessus et je songe qu’à une seule chose, m’endormir paisiblement et me réveiller au petit matin, prêt et reposé pour observer le lever de soleil.


J’ouvre les yeux. Combien de temps s’est-il passé entre maintenant et le moment où je les ai fermés ? Aucune idée. Mais j’ai froid. Extrêmement froid et le vent n’a pas cessé de tambouriner sur ma tente, comme s’il voulait entrer à l’intérieur et me faire comprendre que je n’avais rien à faire ici. Mais ma tente tient bon, et moi aussi. Je comprends dans un claquement de dents que la nuit sera longue, ou plutôt courte, selon le point de vue. Je prends mon mal en patience et je ferme les yeux, espérant m’assoupir au moins quelques instants pour permettre à mon corps de se reposer et oublier la tempête qui se profile dehors, de l’autre côté de cette fine paroi de tente. J’arrive plus ou moins à me rendormir et je me réveille pour de bon aux alentours des 5 heures du matin. J’ai le ventre vide, il hurle maintenant plus fort que le vent, qui lui, s’est enfin calmé. A t’il décidé de me laissé tranquille quand il a vu que ma tente tiendrait bon ? C’est ce que je me dis, à charge de revanche après avoir passé l’une des pires nuits de ma vie. J’ai très peu dormi, et dormir est un grand mot. Avec mon sac de randonnée en guise d’oreiller, un duvet non adapté pour ces températures et la tente qui manquait de s’effondrer sous chaque bourrasque, la nuit fût mouvementée. Je sors, non sans mal, de mon sac de couchage et attrape une barre de céréales que je m’empresse de manger. Je reste là quelques instants, à imaginer le jour pointer le bout de son nez petit à petit. Je visualise ma tente, sur ce sommet, résistant aux forces extérieures, et soudain je suis pris d’un sentiment d’humilité. J’ai réussi à passer la nuit, mais je me rends un peu plus compte de la force de la Nature, de notre fragilité, de notre insignifiance. On ne représente pas grand chose dans cette vaste étendue. Je me charge de rassembler mes affaires éparpillées dans la tente, je sens mon corps se réveiller difficilement. Je suis sacrément courbaturé. La journée d’aujourd’hui ne s’annonce pas simple. Je me force de chasser ces pensées négatives en me remémorant ce proverbe espagnol « L’heure la plus sombre est celle qui vient juste avant le lever du soleil ». Il va bientôt se lever pensais-je avec hâte, je vais pouvoir me réchauffer.


Il est 6h quand je sors de ma tente avec mon duvet sur le dos. A peine ai-je ouvert la fermeture de la tente que l’air frais se faufile à l’intérieur. J’enfile mes gants et je sors. Je m’éloigne de quelques pas de la tente pour me tourner vers la prodigieuse scène qui me fait face. Il y a devant moi une mer de nuages. Des nuages d’une teinte de gris très large, avec différentes nuances, ce qui rend chaque nuage presque unique. Au fond, le soleil qui va bientôt se pointer, laissant échapper une nuée rose orangée dans le ciel derrière cette éparse mer de nuages. J’attends quelques instants, le moment où le soleil passera au dessus des nuages et m’inondera de sa lumière et sa chaleur. En attendant, je peux voir au loin quelques courageux randonneurs qui arrivent au sommet, après une marche de 2 heures à la frontale depuis le refuge. Ils ont l’air fatigués et d’avoir froid, eux aussi. Comme le soleil arrive, ils s’arrêtent à l’endroit où ils se trouvent et me laisse donc profiter seul, face à l’extrême beauté de ce moment. Le soleil finit par passer au dessus des nuages et propage dans tout le ciel ses couleurs orange et rose, nous offrant ainsi la récompense venue chercher ici. De nature très contemplative, je prends le temps d’observer chaque détail du ciel, je scrute chaque mouvement du soleil et encore une fois, j’éprouve la merveilleuse sensation de mon insignifiance. Je suis de nouveau bienveillant envers la Nature et je la remercie de m’offrir ce cadeau, ce pour quoi je suis venu. Une fois le soleil bien haut dans le ciel, j’estime qu’il est temps de redescendre, je prends soin de replier la tente, de l’accrocher à mon sac, et je suis paré.

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Lever du jour à 3070 mètres


Aujourd’hui, je ne regagne pas Cilaos comme à l’aller. Il existe un autre sentier permettant de rejoindre Bourg Murat, un autre village, d’où je ferais du stop pour rentrer chez moi. Cette fois-ci, de ce que j’ai compris, ce n’est pas des marches qui m’attendent pour redescendre mais une pente toute douce et très longue, très très longue. J’ai plus de 18 kilomètres à faire et environ moins 1500 mètres en dénivelé négatif. C’est pourquoi, je ne m’attarde pas au sommet et je décide, dans un premier temps, de descendre de nouveau jusqu’au refuge et de prendre un vrai petit-déjeuner.


Je reprends donc le même chemin que hier soir, ce chemin caillouteux et extrêmement instable. Dans la descente, mes orteils tapent le devant de mes chaussures et je sens un frottement inhabituel. Je sais tout de suite que mes chaussures sont devenus trop petites et que mes orteils, inclinés vers l’avant lorsque je descends, sont comprimés contre la membrane de mes chaussures. La douleur est vive, à chaque pas, mais je m’efforce de ne pas y faire attention et de rapidement rejoindre le refuge, où je pourrais libérer mes pieds de ce calvaire.


Durant la descente, je bois quelques gorgées d’eau et pense au fait qu’il va falloir que je me ravitaille au refuge, si je veux en avoir suffisamment pour la journée. La vue du refuge au loin me sort de ces pensées logistiques, mais qui se montrent essentielles dans un tel environnement. Je dépose donc mon sac sur la terrasse en bois du refuge que je commence à connaître et entre à l’intérieur récupérer un semblant de chaleur et commander mon petit-déjeuner. Cette fois-ci, il est un peu tôt pour la dodo. Je prends donc un café accompagné de quelques tartines de beurre. Un petit déjeuner simple, mais qui sait satisfaire tous randonneurs. Chaque bouchée est un moment de bonheur, un répit, une pause, dans ce périple qui ne me ménage pas. Bien sûr j’ai pris le soin de me mettre en tongs et de laisser mes pauvres orteils prendre l’air et reprendre une forme honorable. Ils sont littéralement écrasés contre la paroi de mes chaussures. Cela me fait peur pour la suite de la journée. Mais je cesse d’y penser quand mes copains de la veille se rassoient autour de la table en bois.


« Eh salut toi ! »


« Oh salut vous, comment vous allez ? »


Je suis ravi de les revoir, ils sont définitivement très sympas, ils ont l’air de bien barouder sur l’île et ça me fait plaisir d’entendre ça. Cette île est clairement propice à la rando, aux sports outdoors, au trek, et nombreux sont les gens qui s’y frottent. Je sens que je vais me plaire ici.


On prend donc le temps de discuter de l’ascension, de la nuit là haut, du lever de soleil car ils étaient là aussi ce matin, à observer les premières lueurs, perchés à 3070mètres.


« Tu redescends avec nous du coup ? » Me lâche Tristan


« Tout dépend, je redescends vers Bourg Murat, et vous ? »

« … Nous vers Cilaos »


Ça m’aurait fait plaisir de partager un bout de route avec eux, mais je voulais vraiment découvrir un nouveau sentier. Je partirai donc seul, de mon côté. Après les au revoir, je pars à la recherche d’une source d’eau pour remplir mon camel back. Après avoir bien cherché, aucun signe d’une source et j’apprends qu’il faut acheter de l’eau en bouteille au comptoir du refuge. Je vais me renseigner : 3.50e le litre ! Trois euros cinquante le litre d’eau en bouteille ! Je digère la nouvelle en comprenant bien qu’ils se font ravitailler en hélicoptère et que cela engendre une hausse du coût mais tout de même. Je check ce qu’il me reste en eau d’un coup d’œil rapide à travers ma poche à eau et j’estime en avoir suffisamment pour le reste de la journée. Je ne vais pas m’alourdir et me balader avec une bouteille en plastique sur le dos. D’un air décidé, je sors du refuge et presse le pas vers le sentier qui m’est destiné. Direction Bourg Murat.


Je commence à marcher sur ce sentier de prime abord plat et continu, zigzaguant entre les ambavilles de nouveau. J’ai hâte de perdre de l’altitude et de sentir la chaleur sur ma peau. Je décide de marcher d’un bon pas, le sentier étant cette fois plus favorable. Dès que je me mets en mouvement tout va mieux d’un seul coup, je me contente d’aligner mes pas et de laisser vagabonder mon esprit dans les entrailles du passé. Aujourd’hui, je me revois à Saumur, avec Anna, dans mon petit appartement où elle passait beaucoup de son temps. On se livrait à des discussions pendant des heures, parfois même la nuit, nous obligeant à rester dormir le lendemain matin plutôt que d’aller en cours. On a décidé d’aller à la Réunion ensemble et elle me rejoint donc dans un mois maintenant. Ce sont de doux souvenirs qui me permettent d’avancer tant bien que mal. Je sens mes orteils compressés comme jamais ils ne l’ont été. Pour le coup, chaque pas est une atroce souffrance. Sur ce constat, ces mots résonnent dans ma tête : « souffrir, c’est donner à quelque chose une attention suprême » alors je force mon esprit à penser à autre chose, je fais un pacte avec moi même en me disant que tout ira bien et que je verrai les dégâts ce soir en arrivant à la maison, mais que pour l’instant, je n’ai pas d’autre choix que de supporter la douleur et d’aligner un pied devant l’autre. C’est ce que je m’efforce de faire et me voici un peu plus bas en altitude. Le soleil est bien haut dans le ciel et commence à taper de plus en plus. Déjà, je regrette presque la fraîcheur matinale. Pourtant, je suis bien loin d’être arrivé, je ne suis qu’au début de mon escapade du jour. Je rencontre sur le chemin, un groupe de jeunes qui montent au refuge.


« Tiens, salut ! T’es tout seul ? T’as pas peur de faire ça tout seul ? » me demande une fille du groupe.


« Salut ! Non, non, je n’ai pas peur, il peut rien m’arriver de bien méchant ici »


« Eh bien en tout cas, bon courage à toi, t’as l’air chargé ! »


« Merci beaucoup, vous y êtes presque vous, courage ! »


Et quelques pas plus loin, je me retrouve de nouveau seul, avec cette sensation de m’enfoncer de plus en plus profondément dans ce chemin étroit, longé de part et d’autre d’une végétation envahissante. Le sol est jonché de flaques, de boue, je dois sans cesse faire attention où je pose les pieds, de sorte à ne pas tremper mes chaussures. Bien évidemment, certains passages sont coriaces et je manque plusieurs fois de glisser. Mon pied à déjà terminé dans la boue à plusieurs reprises maintenant. J’avance donc plus vite, n’ayant plus peur de mouiller quoique ce soit. Je marche sur ce sentier pour ce qui me semble être des heures, pourtant, je ne crois pas avoir beaucoup avancé au vu de ma position sur le gps de mon téléphone. Ça me semble interminable.


Les minutes passent et je progresse sur ce sentier boueux, si boueux que parfois des plateformes en bois ont été prévues à certains endroits ainsi que des échelles, pour passer les passages délicats qui ont du s’affaisser ou s’effondrer avec le temps. J’avance donc à mon rythme lorsque soudain j’entends ce que je redoutais par dessus tout, mon air qui s’infiltre dans la poche à eau quand je vais pour prendre une gorgée et qui me ramène à la bouche le semblant d’eau qui stagnait au fond du camel back. Je n’ai plus d’eau. Je fais en sorte de ne pas paniquer et de réfléchir de façon pragmatique. Je vais croiser des randonneurs, je vais pouvoir demander de l’eau, je vais peut être trouver une source en cours de route. Je repars donc en espérant que cela se produira comme je l’entends.


Je marche pendant de longues minutes, j’ai retrouvé une altitude où le soleil devient maintenant mon pire ennemi et m’assaille de tous les côtés. Il me brûle la peau, m’assèche et me donne de plus en plus soif. Je transpire beaucoup et je ne peux compenser avec rien d’autre. « Oh, comme je t’aime et te déteste ». A cet instant, il me fait endurer ce qui va s’apparenter à l’une des épreuves physiques et mentales les plus difficiles de ma vie. La fatigue de la nuit s’installe de plus en plus, mes orteils sont encerclés pas des étaux qui se resserrent à chaque pas, et la soif se fait maintenant insoutenable. Je ressens le besoin de boire car avancer devient très compliqué. Je ralentis la cadence, jusqu’à un stade où je me dis qu’il est temps de faire une pause. Je suis bien content de trouver la boîte de thon que je n’ai pas mangé la veille au soir et je m’empresse de l’ouvrir et d’avaler tout le contenant. Je ne me fais pas prier et je n’en laisse pas une miette. Ça me fait du bien au moral, mais c’est bien trop peu, moi ce que je veux à cet instant précis, c’est boire. J’espérai durant cette pause que des marcheurs passeraient devant moi, mais ce ne fût pas le cas. « Qui monterait au Piton maintenant, et surtout par ce chemin ? » Je chasse cette pensée de mon esprit, et je garde confiance.


Je reprends la marche, et je n’arrive pas à penser à autre chose que l’eau. C’est plus fort que moi, mon esprit ne songe qu’à ça et mes pas s’enchaînent dans l’unique but désormais de trouver de l’eau. Sur le sentier, j’esquive, j’escalade, je saute, je franchis, je contourne toutes sortes d’obstacles qui se dressent devant moi et j’avance d’un pas déterminé. J’ai décidé de puiser dans mes dernières ressources pour accélérer le pas et donc me rapprocher de la civilisation plus rapidement, car sous cette chaleur, je ne tiendrai pas longtemps. J’avance ainsi pendant 1 heure, peut être 2, je perds de plus en plus mes repères. Ma seule obsession reste l’eau, cette ressource vitale que l’on gaspille sans aucun état d’âme dans la vie quotidienne et qui pourtant pourrait se révéler si précieuse dans mon cas actuel. Je donnerai cher pour pouvoir en boire seulement quelques gorgées. Ma gorge et mes lèvres sont d’une triste sécheresse. J’avale ma salive comme si on m’offrait un peu d’eau à chaque déglutition. J’ai vraiment besoin de boire.


L’après midi commence à être bien entamé et pas la moindre trace d’humains depuis le groupe que j’ai croisé il y a plusieurs heures maintenant. J’en viens bien sûr à regretter amèrement le choix que j’ai pris ce matin, au refuge, de ne pas prendre l’eau en bouteille. Quelle erreur et je m’en veux, car cette situation, je l’ai déjà connu au GR20, le premier jour, lorsque j’ai terminé mes deux litres d’eau alors qu’il nous restait 2 heures de marche. En arrivant au refuge, j’avais bu l’équivalent d’un litre d’eau d’une traite et je m’étais promis de faire attention à l’avenir. Aujourd’hui je répète la même erreur. Sauf qu’avant, je pouvais mettre ça sur le dos de l’inexpérience. Aujourd’hui c’est différent, je connais la pratique de la randonnée et pourtant je me retrouve là, impuissant face à ce qu’il m’arrive, par ma faute. Et ce n’est pas 2 heures de marche que j’ai à faire sans eau, mais facilement le double, voire même le triple. Et je suis toujours aussi seul, ce qui ne m’aide pas, cette fois.


Le soleil tape maintenant de mille feux, je dois être bien redescendu en altitude. Je progresse toujours sur le sentier quand soudain j’entends des voix ! Oui, ce sont des voix d’enfants. Je tends l’oreille pour être sûr de moi, mais je les discerne bien, ils ne sont plus très loin. « Ouf, sauvé » me dis-je. Je marche à plus vive allure et m’empresse d’aller à leur rencontre. Je suis certain qu’au prochain virage ils se trouveront devant moi car les voix se font de plus en plus entendre. Encore quelques mètres et ils seront face à moi, que j’ai hâte. Je marche, je m’apprête à prendre le virage, je les entends, je tourne enfin, et je reste sans voix. Scotché. Il n’y a personne. « Mais où sont-ils ? Ils étaient là pourtant, je les entendaient… »
Je réalise très vite que je viens d’avoir une hallucination auditive. Et un énorme frisson me saisis. C’est la première fois que ça m’arrive et j’essaye de contrôler mes émotions. Je ne veux pas céder à la panique, je veux garder mon sang froid. Je reste très perspicace et je comprends que tout cela est dû au manque d’eau bien sûr, et au soleil qui tape sur ma tête et qui est à deux doigts de me causer une insolation. Cette fois, j’y retourne en essayant de rester lucide, ne pas me laisser submerger par ces réactions physiques que je juge tout à fait normales au vu de ce que je vis. Je progresse pendant plusieurs dizaines de minutes quand j’entends de nouvelles voix, je suis aux aguets, je cesse de marcher, elles se rapprochent, je peux distinguer deux personnes, un couple peut être ! Je marche en leur direction en étant persuadé que cette fois ce n’est pas mon esprit qui me joue des tours, que deux randonneurs vont débarquer devant moi et me remettre le bien le plus précieux, l’eau. Je marche quelques pas, les voix s’accentuent, je vois un virage de nouveau se profiler sur le sentier, ils doivent être juste derrière, je prends légèrement sur ma droite, les yeux bien ouverts, et de nouveau je me prends un coup de massue. Il n’y a personne. Cette fois s’en est trop, la panique commence à s’emparer de moi. Je vis en toute conscience tout ce qui m’arrive mais il m’est impossible de faire quoique ce soit. Je me dois d’avancer, d’aller à l’encontre de ces hallucinations, de chercher des semblables pour me sortir d’ici.


Je me reprends en main, deux hallucinations ça arrive, avec un peu d’eau tout ira mieux. Je me remets en route et marche pendant trente minutes avec une telle concentration que je me surprends moi même. Chaque pas, chaque respiration, chaque déglutition, fait preuve d’une prise de conscience de ma part. Je ne fais qu’un avec tout mon corps et il va me mener jusqu’à la sortie, j’en suis intimement convaincu. Lorsque je perds un peu de cette concentration, je me mets à entendre un fort bruit de torrent. Comme si un fleuve ou une rivière passait non loin d’où je me trouve avec un débit très impressionnant. Trop impressionnant ? Que sais-je, mais je m’imagine d’ores et déjà sauter dedans, me baigner et boire tout ce que je peux. Mon corps, qui réclame tout cela autant que mon esprit, se met en route tel un automate et avance dans la direction du bruit qui s’échappe de ce fleuve. Je marche comme cela un certain temps. Plusieurs minutes passent avant que je comprenne qu’il s’agit encore une fois d’une hallucination. Que le fleuve n’existe pas, que mon esprit à créer ces bruits, fruits de mon imagination et de mes désirs les plus chers. Cela ne me fait ni chaud ni froid, je m’habitue presque déjà à ces moments de légère folie, m’emportant dans une autre réalité, la réalité où tous mes désirs seraient assouvis. Au moins, j’ai marché quelques minutes de plus sur ce sentier qui n’en finit pas, sans presque m’en rendre compte, bercé par mon imaginaire et ses créations les plus farfelues. « Un torrent ici, mais bien sûr… »


Les minutes défilent encore et me paraissent des heures, je grimpe un certain nombre d’échelles et je longe des champs, où se trouvent des vaches. Cela me rassure, je me dis que des paysans doivent vivre non loin de là, ou peut être même que des routes passent à proximité. Je retrouve un peu de baume au cœur, et je regagne petit à petit espoir, avec cette impression de laisser derrière moi un enfer vert. Je suis minutieusement le chemin qui se dessine et je longe ainsi plusieurs champs. Alors, me viens en tête comme une illumination, l’idée de trouver de l’eau dans l’abreuvoir des vaches. Je n’en vois pas d’où je suis et les champs semblent difficile d’accès alors je décide de continuer mon chemin, en espérant que mon hypothèse sur les routes s’avère vraie. Je continue pendant une vingtaine de minutes quand au loin, j’aperçois des toits de voiture briller au soleil, j’avance encore un peu et peux voir les voitures dans leur totalité, elles sont bien là ! « Qui dit parking et voitures, dit forcément humains et eau » dans ma tête c’est exactement comme ça que je vois les choses. Alors je m’avance, précipitamment, vers ce parking.


Cette fois, c’est terminé ! Je le sais, puisque j’aperçois des randonneurs. Ils sont 8 et sont assis sur le chemin. 4 d’un côté et 4 de l’autre, se tenant ainsi face à face en créant une allée. Je sens des regards se poser sur moi. Des regards curieux. « D’où déboule ce mec avec tout ce chargement sur le dos ? » doivent-ils se demander. Je m’avance vers eux. Ils ne le savent pas encore, mais c’est très clair dans ma tête : ils vont me sauver. Alors que je m’approche d’eux, ils me font une énorme holà comme si je venais de terminer une course ou quelque chose du genre. Ils ne s’imaginent pas ce que je viens de vivre. Peut être que malgré tout je garde la face et qu’ils n’arrivent pas à discerner sur mon visage les traits marqués d’un mec assoiffé et exténué. Ma réaction en arrivant à leur hauteur en tout cas ne manquera pas de leur faire comprendre. Je jette presque mon sac à leur niveau et quelques paroles sortent de ma bouche asséchée :


« De l’eau… de l’eau s’il vous plaît »


Alors sans plus attendre, plusieurs personnes dégainent de leur sac des bouteilles et j’attrape, presque sauvagement, la bouteille en plastique Evian d’une dame. Je l’ouvre, et bois d’une traite le contenant. Tiens, cette situation ne m’est pas nouvelle. Je redonne la bouteille à la dame, je viens de boire un litre en quelques secondes sous les yeux ahuris de mes sauveurs. J’attrape une deuxième bouteille que je prends la peine de boire à petites gorgées, cette fois-ci.


« Mais d’où tu viens comme ça ? Est-ce que tout va bien ? » S’inquiètent plusieurs de ces personnes. A ce moment là, j’ai l’impression de revivre, de reprendre mes esprits petit à petit. Alors, je me met à tout leur raconter. Et au vu de leurs regards, j’ai l’impression d’être un extraterrestre tout droit débarqué d’un autre monde… Les ressemblances avec Jurrasik Parc n’étaient visiblement pas que physiques.


Après le court récit de mes deux derniers jours, qui leur semblent être une vraie expédition, ils me demandent :


« Et comment tu comptes rentrer chez toi maintenant ? »


« Vu l’heure j’ai du rater le dernier bus, alors… en stop ! »


C’en était trop pour eux, je les ai vu perdre la face à peine ai-je prononcé le mot stop. J’ai très vite compris qu’ils ne me laisseraient pas repartir en stop, pas après tout ça. Alors dans un élan de bienveillance, il me proposent de me raccompagner chez moi. Ils n’habitent pas très loin, cela leur fait simplement faire un petit détour, alors j’accepte. Mon périple prend fin ici et cette simple idée me soulage. Je viens d’achever mon ascension et le sentiment d’accomplissement commence à se faire ressentir. Je suis à l’arrière de leur voiture, là tête contre la vitre, et je regarde le paysage défiler, distinguant vaguement tout le chemin que je viens de parcourir.


Alors qu’on roule en direction de la Ravine des Cabris, ils se garent sur le bas côté de la route et s’arrêtent.


« On va acheter des fruits, on revient. »


Et ils reviennent quelques instants plus tard avec un sac remplit de longanis. Je ne connais pas ce fruit mais ils m’en tendent une poignée en me lâchant :


« C’est comme des litchis mais en plus sucré, tu verras ! »


Et je me laisse aller, glissant sur le siège arrière, et mangeant ces petits fruits qui ravivent en moi une vieille citation : « Il faut marcher dans l’obscurité pour apercevoir la lumière ». Ma lumière, je la tenais là, dans le creux de la main.


Épilogue :


« Merci encore, pour tout, rentrez bien ! »


Je claque la porte de la voiture et je me retrouve devant chez moi. J’introduis les clés dans le portail, puis dans la porte d’entrée. J’entre à la maison.


« Christopher ? »


Mon colloc ne semble pas être là. Je pose le sac dans ma chambre et entre dans la salle de bain pour découvrir les dégâts. Je me plante devant le miroir et j’allume la lumière. Il est 19h maintenant, la nuit est tombée. Lorsque l’ampoule de la salle de bain s’illumine, je vois mon visage marqué par le soleil. Je suis littéralement cramé. Le visage, le cou, les bras. Il ne m’a pas épargné. Je me précipite sur le Canapé pour retirer chaussures et chaussettes et libérer mes orteils de ce fardeau. Je retire délicatement le tout pour éviter toutes blessures supplémentaires et observer la scène progressivement. Le bilan n’est pas glorieux. Je découvre mon ongle du gros orteil gauche arraché et l’ongle droit, lui, ne tient qu’à quelques fragments de peau encore présents. Je ne peux m’empêcher de grimacer à la vue de ces horreurs.


Je vois mon téléphone sonner sur le canapé, c’est Anna, elle s’impatiente de tout savoir. La pauvre, il ne lui faudra que peu de temps pour tout comprendre quand elle aperçoit mon visage en visio.


Je décide d’aller me coucher tôt ce soir. Demain je retourne à l’agence et je me dois de faire bonne figure, après m’être aventuré sur cet itinéraire fièrement et confiant malgré les différents avertissements de mes collègues. Je me couche donc, épuisé mais heureux. Heureux d’avoir vécu cette aventure et d’avoir ressenti cette sensation d’être en vie, réellement en vie. Il n’y a pas de manière plus pure de se sentir vivant que lorsque tu affrontes les éléments naturels. « L’esprit d’aventure, est, par définition, combatif, il permet de persévérer devant l’adversité ».


J’écris ces lignes un an et demi après les faits, et avec du recul je comprends qu’il n’y avait aucune adversité. Ce n’était pas un combat que je suis allé chercher là haut, à 3000 mètres d’altitude. C’était un moment de plénitude avec la Nature et avec moi même. Ce qui a causé ces quelques péripéties, c’est mon insouciance. J’ai manqué de rigueur, mais la Nature ne m’a pas attaqué. Nous avons cette tendance à toujours trouver un bouc émissaire mais aujourd’hui je reconnais mon entière responsabilité dans cette histoire. Eliott Schonfeld, en pleine expédition en Guyane disait : « Non, je ne hais pas la jungle, ce n’est pas elle qui me met en danger, c’est mon ignorance ».


Continuons donc d’apprendre, par la somme de toutes nos expériences, bonnes et moins bonnes. L’âme humaine puise sa substance dans les expériences inédites.
Quant à moi, à l’avenir, je songerais à deux fois, quand viendra le moment de me ravitailler en eau.


Le lendemain, en me réveillant, tout va déjà mieux. Le retour à la réalité, au confort, aux habitudes. Je me lève et me rends dans la salle de bain pour voir mon visage, il a perdu sa couleur rougeâtre de la veille, c’est déjà une bonne chose. En m’approchant de près je remarque que je conserve tout de même un certain bronzage qui laisse deviner les coups de soleil de la veille. Je me dirige vers l’agence et une fois devant, j’appelle comme à mon habitude Clément afin qu’il m’ouvre le portail. C’est chose faite, je pénètre donc dans la case qui nous sert de bureau et Clément, Luc, Manue, Caro et Audrey viennent à ma rencontre et me demandent :


« Alors cette ascension, comment ça s’est passé ? » d’un enthousiasme marquant

« … Niquel ! »


Marius

Aventure, ascension, réunion, randonnée, trek, piton des neiges, sommet, marche
Marius – Sommet du Piton des Neiges

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